« Crime d’État » : l’Algérie se prononce pour la première fois sur une loi pour qualifier la colonisation française

Déc 24, 2025 - 07:53
« Crime d’État » : l’Algérie se prononce pour la première fois sur une loi pour qualifier la colonisation française

À plusieurs reprises en Algérie, la criminalisation de la colonisation française a été mise sur la table, sans jamais aboutir. Ce mercredi, le Parlement algérien se prononcera finalement sur une proposition de loi qualifiant la colonisation française (1830-1962) de « crime d’État », réclamant à la France « des excuses officielles », au moment où les deux pays restent englués dans une crise majeure.

Le texte, dont l’AFP a obtenu une copie et qui devrait sauf surprise être adopté, demande également des indemnisations et fait porter à l’État français « la responsabilité juridique de son passé colonial en Algérie et des tragédies qu’il a engendrées ».

Si elle était approuvée, la loi aurait une forte portée symbolique. Mais son effet concret sur des demandes de compensation semble limité.

« Un message clair, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur »

Cette proposition de loi est « un acte souverain par excellence », a affirmé ce week-end le président de l’Assemblée populaire nationale (APN), Brahim Boughali, cité par l’agence APS. Elle est « un message clair, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, (selon lequel) la mémoire nationale algérienne n’est ni effaçable, ni négociable », a-t-il dit.

Interrogé la semaine dernière sur ce vote, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Pascal Confavreux, a indiqué ne pas faire de commentaires « s’agissant de débats politiques qui se passent dans les pays étrangers ».

Pour Hosni Kitouni, chercheur en histoire de la période coloniale à l’université britannique d’Exeter, « juridiquement, cette loi n’a aucune portée internationale et ne peut donc obliger la France ». « Sa portée juridique est exclusivement interne », juge-t-il.

Mais « la portée politique et symbolique est importante : elle marque un moment de rupture dans le rapport mémoriel avec la France », estime-t-il.

Emmanuel Macron a reconnu « un crime contre l’humanité »

La question de la colonisation française en Algérie demeure l’une des principales sources de tensions entre Paris et Alger. La conquête de l’Algérie, à partir de 1830, a été marquée par des tueries massives et la destruction de ses structures socio-économiques ainsi que par des déportations à grande échelle. De nombreuses révoltes ont été réprimées avant une sanglante guerre d’indépendance (1954-1962) qui a fait 1,5 million de morts algériens selon l’Algérie, 500 000 dont 400 000 Algériens selon les historiens français.

En 2017, Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle française, avait déclaré que la colonisation de l’Algérie était « un crime contre l’humanité ». « Ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes », avait-il dit.

Après la publication d’un rapport de l’historien français Benjamin Stora en janvier 2021, Emmanuel Macron s’était engagé à des « actes symboliques » pour tenter de réconcilier les deux pays, mais en excluant cette fois des « excuses ». Il avait ensuite provoqué un tollé en Algérie en s’interrogeant selon Le Monde sur l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation.

Des peines de prison pour toute personne « promouvant » la colonisation

Le vote intervient au moment où Paris et Alger restent empêtrés dans une crise diplomatique, à la suite de la reconnaissance à l’été 2024 par la France d’un plan d’autonomie « sous souveraineté marocaine » pour le Sahara occidental. Plusieurs épisodes ont depuis aggravé les tensions, comme la condamnation et l’incarcération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, finalement gracié à la faveur d’une intervention allemande.

La proposition de loi affirme qu’« une indemnisation complète et équitable pour tous les dommages matériels et moraux engendrés par la colonisation française est un droit inaliénable pour l’État et le peuple algériens ». Selon le texte, l’État algérien s’emploiera à réclamer à la France qu’elle décontamine les sites des essais nucléaires.

Entre 1960 et 1966, la France a procédé à 17 essais nucléaires sur plusieurs sites dans le Sahara algérien. Le texte réclame également la restitution de l’ensemble des biens transférés hors d’Algérie, y compris les archives nationales.

Enfin, il prévoit des peines de prison et une interdiction des droits civiques et politiques pour toute personne « promouvant » la colonisation ou niant qu’elle soit un crime.

Tomas Kauer - News Moderator https://www.tomaskauer.com/