« En Ukraine, l’armée russe avance à pas de fourmis » : la chute de Siversk, amorce d’une percée dans le Donbass ?
« C’est sûr, le Donbass restera entre nos mains », jurait Milan, un militaire ukrainien que nous avions interrogé en juin 2022, malgré la « pluie d’obus » qui tombait déjà sur la petite ville de Siversk, qui comptait 11 000 habitants avant la guerre. Depuis, Moscou n’a pas ménagé ses efforts pour s’emparer de ce nœud de communication stratégique, l’un des derniers obstacles du Donbass.
Mardi, Kiev a annoncé s’être retirée de Siversk, afin de « préserver la vie de nos soldats et la capacité de combat de nos unités », selon l’état-major de l’armée. Selon cette même source, les soldats russes « ont réussi à avancer grâce à leur supériorité numérique et à la pression constante exercée par de petits groupes d’assaut dans des conditions météorologiques difficiles ».
Les troupes de Moscou « disposent d’un avantage significatif en termes d’effectifs et d’équipement et, malgré des pertes importantes, poursuivent leurs opérations offensives », indique encore l’état-major dans ce communiqué publié sur Telegram. La Russie avait revendiqué il y a moins de deux semaines la prise de Siversk, ce qui avait été démenti par Kiev.
Une conquête compliquée
En réalité, l’offensive militaire russe sur cette ville de l’est ukrainien s’est avérée longue et coûteuse. Les forces du Kremlin pilonnent la ville - aujourd’hui en grande partie détruite - depuis le début de la guerre. Mais elles ont mis trois ans et demi pour progresser de 12 km depuis Lyssytchansk (à l’est de Siversk), conquise à l’été 2022.
L’armée russe s’est approchée par trois côtés à partir de septembre 2025, avant de percer les défenses locales entre novembre et décembre. Le 13 décembre, les services de renseignement britanniques signalaient que des soldats russes pénétraient dans Siversk à la faveur du brouillard, réussissant une percée dans le centre-ville. Les Ukrainiens tenaient encore la partie ouest de la ville.
Il aura encore fallu 33 jours à Moscou pour s’emparer complètement des ruines de Siversk. « Nous pensions que les Russes auraient davantage de difficultés à franchir la Bakhmoutka (une rivière qui traverse la ville du nord au sud) », se désole une source proche du renseignement ukrainien auprès du journal Le Monde.
« Villes forteresses »
Avec cette prise, Moscou fait sauter l’un des derniers verrous du Donbass, qui l’empêchait jusque-là de s’approcher de Kramatorsk et Sloviansk, les grandes cités régionales de la région encore sous contrôle ukrainien. Trente kilomètres de collines, de petits villages et le canal Siversky Donets-Donbass séparent désormais les Russes de Sloviansk.
« L’objectif principal de la Russie est de se rapprocher de ces deux villes forteresses. Ils tentent d’y arriver par différents moyens coûte que coûte : en remontant depuis Pokrovsk, en passant par Kostiantynivka ou par Siversk », indique Ulrich Bounat, chercheur associé chez Euro Créative. Faute d’arriver à leurs portes, l’armée russe pourrait déjà tenter « de s’en approcher à portée de tir, à moins de 30 km, afin de détruire les villes avant d’y arriver », poursuit-il.
La Russie, qui occupe environ 19 % du territoire ukrainien, a accéléré ses avancées en Ukraine ces derniers mois, revendiquant notamment la capture du nœud logistique clé de Pokrovsk. « En Ukraine, l’armée russe avance, oui, mais à pas de fourmis : le mois dernier, ils ont conquis 160 km, mais il leur en manque 6 000 dans la région de Donetsk », tempère l’ancien officier Guillaume Ancel. Auront-ils seulement les forces nécessaires pour pousser leur avantage dans cette zone ?
Portée symbolique
En réalité, la prise de Siversk pourrait surtout revêtir une importance symbolique, alors que Volodymyr Zelensky a annoncé ce mardi avoir obtenu des États-Unis une révision de leur plan de paix au terme d’âpres négociations. Cette nouvelle mouture ne prévoit plus aucun retrait immédiat des troupes ukrainiennes des quelque 20 % du territoire encore sous leur contrôle, dans la région orientale de Donetsk, mais bien un gel du front.
« Les dernières positions conquises sont importantes dans cette négociation, puisque la ligne de démarcation sera celle du front », souligne Guillaume Ancel. « La perte de chaque ville, quelle que soit sa taille, alimente effectivement le narratif russe d’une victoire inévitable », abonde Ulrich Bounat. Un narratif qui, preuve de son importance, reçoit « une oreille très attentive à Washington ».

