Frappes américaines au Nigeria : qu’est-ce que le groupe Lakurawa, visé le jour de Noël au même titre que l’État islamique ?
« J’avais prévenu ces terroristes que s’ils n’arrêtaient pas le massacre de chrétiens, ils allaient le payer cher. » Donald Trump a fait part de son bonheur sur Truth Social à grand renfort de lettres capitales, le jour de Noël. À sa demande, l’armée américaine venait de lancer une offensive aérienne dans le nord-ouest du Nigeria, et plus précisément dans l’État de Sokoto.
L’opération a été coordonnée avec le gouvernement nigérian visant à la fois des djihadistes de l’État islamique (EI) issus du Sahel et des miliciens de Lakurawa. « Il y a eu des victimes, mais on ne sait pas exactement qui parmi les personnes visées a été tué », a indiqué ce samedi Daniel Bwala, le porte-parole du gouvernement.
Si cette branche de l’EI s’est forgée une réputation dans la région en perpétrant des attentats, le groupe armé est moins connu. Selon Courrier international, « Lakurawa » signifie « recrue » en langue haoussa, l’un des idiomes du Nigeria. La milice « se répand dans le nord-ouest du Nigeria, ajoutant au malheur des habitants déjà grandement affectés par le banditisme, les conflits entre les paysans et les gardiens de troupeaux et le changement climatique », écrit l’Unidir, l’Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement, dans un rapport datant de mars dernier.
Ce groupe armé serait composé de « 200 combattants et serait bien doté en armes, petites et légères, en explosifs et en drones », précise le document onusien. Les autorités nigérianes ont classé Lakurawa organisation terroriste en janvier 2025, « ouvrant la voie à l’usage de la force militaire contre le groupe. »
Des origines incertaines
Les origines de Lakurawa font l’objet de débats. Comme l’explique l’Agence France-Presse (AFP), les recherches sont complexes car ce terme a été utilisé pour désigner divers groupes de combattants armés dans le nord-ouest du Nigeria. « Plusieurs sources indiquent que le groupe a été formé en 2010 par des gardiens de troupeaux originaires du Mali et du Niger qui se sont installés dans la région de Sokoto, déjà frappée par le banditisme et le vol de bétail », rapporte l’Unidir.
Un problème de sécurité majeur dans ce secteur, où les gangs criminels locaux connus sous le nom de « bandits » pillent les villages, procèdent à des enlèvements contre rançon et extorquent de l’argent à des agriculteurs et des mineurs artisanaux dans les zones rurales échappant au contrôle du gouvernement.
Selon une source bien renseignée de l’Unidir, Lakurawa serait plutôt né en 2012-2013, quand des gardiens de troupeaux maliens, armés pour se protéger eux et leur bétail, ont combattu aux côtés de la coalition de la milice Séléka contre les anti-balaka, des groupes d’autodéfense formées par des paysans en République centrafricaine. « Ils sont ensuite retournés au Mali et sont entrés en conflit avec l’armée, ce qui les a obligés à s’installer au Niger. Après plusieurs années instables, le groupe semble s’être installé au Nigeria de manière plus pérenne », peut-on encore lire dans le rapport de l’Unidir.
Prélèvement de taxes et imposition de la charia
D’autres sources, cependant, considèrent que la création du groupe armé remonte à 2017. À cette époque, des gardiens de troupeaux armés sont recrutés par des chefs locaux du nord-ouest du Nigeria pour combattre les bandits et offrir une protection aux habitants. Mais, d’après ces sources, le groupe Lakurawa se serait « progressivement retourné contre les communautés qu’il devait protéger ».
« Ces gardiens de troupeaux devenus miliciens ont établi des bases autour de la région de Sokoto, dans le Nord-Ouest, ont prélevé des taxes et ont cherché à imposer leur version de la Charia, punissant très sévèrement ceux qui étaient accusés de ne pas en suivre les règles strictes ».
Expulsé par les forces de sécurité nigériane, le groupe bat en retraite vers le Niger en 2022. Mais il réapparaît en septembre 2024 et commet plusieurs attaques meurtrières, notait la Deutsche Welle il y a un an. Cette résurgence, estime l’armée nigériane, est la conséquence d’un manque de coordination sécuritaire à la frontière entre le Niger et le Nigeria après le coup d’État survenu à Niamey en juillet 2023.
Argent, germes, outils agricoles…
Comme d’autres groupes armés, Lakurawa prospère dans une région fragile et « opère maintenant surtout dans les denses forêts du nord-ouest de Sokoto et dans les régions du nord de Kebbi, le long de la frontière entre le Niger et le Nigeria », poursuit le rapport onusien. Argent, germes, outils agricoles, machines d’irrigation : ses membres tentent de gonfler les rangs de l’organisation criminelle en offrant des rétributions.
Avant révélation des cibles de l’armée américaine, les zones géographiques touchées le 25 décembre par les frappes ont intrigué les analystes, souligne l’AFP, car l’insurrection djihadiste au Nigeria est principalement concentrée dans le nord-est du pays, et non au nord-ouest.
Des chercheurs ont récemment établi un lien entre certains membres du groupe Lakurawa et la branche sahélienne de l’EI. D’autres analystes ont toutefois contesté ces liens. L’Unidir, elle, n’exclut pas que Lakurawa s’allie à d’autres groupes armés, à l’instar de Boko Haram. Les gangs actifs dans la région tissent parfois des liens avec les djihadistes, motivés par l’appât du gain et non par des motifs religieux.

