Tout sur les déclarations d’intérêts du gouvernement Bayrou

Les 36 ministres ont déclaré leurs liens publics ou privés à la HATVP. Voici ce que POLITICO en retient.

Jun 13, 2025 - 08:01

PARIS — C’est un rituel scruté de près : la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a mis en ligne mardi les déclarations de patrimoine et d’intérêts des ministres en exercice. Cette séance d’effeuillage, prévue par la loi, doit servir à vérifier que nos gouvernants ne s’enrichissent pas de manière injustifiée pendant l’exercice de leurs fonctions et à les empêcher d’agir sur les dossiers dans lesquels ils pourraient détenir un intérêt personnel.

Les 35 ministres du gouvernement, ainsi que le Premier ministre lui-même, ont donc livré la composition détaillée de leur patrimoine, allant du montant de leur livret A à la dernière estimation de leur maison de campagne.

Au-delà de ces considérations matérielles, POLITICO a épluché les déclarations d’intérêts de nos dirigeants, non moins instructives.

Ces documents compilent leurs mandats locaux comme leurs liens actuels (ou noués dans un passé récent) avec des entités publiques ou privées, ainsi que le détail de leurs parts dans des sociétés. Conséquence directe de ces bouts de CV : 15 ministres, dont le premier d’entre eux, ont dû se déporter, depuis leur nomination en décembre, de certains dossiers afin de prévenir tout conflit d’intérêts. Revue de détail.

1. Des participations financières au scalpel

Les deux ministres les plus riches du gouvernement sont à Bercy : Marc Ferracci (Industrie) et Eric Lombard (Economie) affichent respectivement des fortunes de 23 et 21 millions d’euros. Des montants directement liés à leurs participations dans des entreprises.

Marc Ferracci est actionnaire d’Icare Finance, l’entreprise d’expertise comptable présidée par son père, Pierre Ferracci. Eric Lombard détient la quasi-totalité de la société Halmahera et ses filiales, spécialisée dans le conseil et la gestion des entreprises, dirigée par sa femme Françoise. Chacun a dû se déporter sur ces sociétés.

Le portefeuille des actions de Clara Chappaz pourrait donner la berlue à plus d’un soutien de la start-up nation. Il est constitué de plusieurs investissements dans les géants de la tech… américaine, comme Microsoft (23 573 euros), Alphabet (17 425 euros) ou Amazon (18 705 euros), des géants avec lesquels compose tous les jours la ministre déléguée au Numérique.

Interrogé par POLITICO pour savoir comment de tels intérêts financiers interféraient avec le travail de la ministre, son cabinet nous a renvoyés vers la HATVP. Le gendarme de la probité s’est contenté de nous rappeler que “les membres du gouvernement qui sont détenteurs d’actions doivent conclure des mandats de gestion excluant le droit de regard”. Il faut donc en déduire que Clara Chappaz recourt à un gestionnaire, qui fait ses propres arbitrages en matière d’investissements.

La HATVP rappelle au passage que le cadre actuel ne prévoit pas qu’elle “puisse demander à un membre du gouvernement de vendre des actions en début de mandat”.

Des actions, la ministre des PME en a plein le portefeuille. Véronique Louwagie détient celles d’une trentaine d’entreprises, essentiellement des géants du CAC 40, de LVMH à Dassault Systèmes, en passant par Sanofi, Saint-Gobain ou TotalEnergies, il y en a pour tous les goûts. Des participations qui ne lui ont pas rapporté des fortunes en 2024, ses dividendes atteignant quelques centaines d’euros dans le meilleur des cas…

… contrairement à Astrid Panosyan-Bouvet. La ministre de l’Emploi possède des parts dans une grosse poignée de grands groupes (Axa, Air Liquide, Hermès, etc.), et surtout plus de 500 000 euros d’actions chez Unibail-Rodamco-Westfield, qui lui ont rapporté près de 25 500 euros l’an dernier. Il faut dire que l’ex-trésorière d’En Marche a été cadre dirigeante du spécialiste des centres commerciaux.

Jean-Noël Barrot (Affaires étrangères) s’est lui déporté de la société eXplain (dont il détient 0,13% des parts pour 35 327 euros), une start-up qui a débuté dans l’analyse électorale et qui désormais souhaite “automatiser les réponses aux marchés publics” avec l’intelligence artificielle. La jeune pousse est soutenue depuis ses débuts par le milliardaire Xavier Niel.

Avocat de profession, François-Noël Buffet (Intérieur) a dû se déporter des clients de son cabinet Buffet-Buratti.

2. L’influence du travail des conjoints

Autre source de déports pour les membres de l’exécutif : l’activité professionnelle exercée par son ou sa partenaire.

Marié à Susana Gallardo, riche héritière du géant pharmaceutique espagnol Almirall, Manuel Valls (Outre-mer) ne peut se mêler des affaires de trois sociétés. Au moment du dépôt de sa déclaration, son épouse était vice-présidente du conseil d’administration du groupe de divertissement Banijay (qui produit Koh-Lanta ou Fort Boyard), et membre de ceux d’Unibail-Rodamco-Westfield et du fonds d’investissement dans la santé Goodgrower.

Quant à Agnès Pannier-Runacher (Transition écologique), son déport concerne le cabinet de conseil NB Stratégie de l’ex-député socialiste Nicolas Bays, avec qui elle est en couple. Pour Patrick Mignola (Relations avec le Parlement), il s’agit d’Un plus un égale trois, ainsi que d’Omegreen, deux sociétés dont sa femme est gérante.

Les liens entre parents ou au sein de la fratrie sont aussi pris en compte. Par exemple, Jean-Noël Barrot a interdiction de traiter des questions relatives à Uber : sa sœur, Hélène Barrot, en est la directrice communication Europe. Et Véronique Louwagie de la société Osea Energie, dirigée par son fils, et dont elle détient 20% des parts pour 140 000 euros.

Juliette Méadel (Ville) n’entend peut-être pas parler de la situation financière de la France qu’en Conseil des ministres, puisque son conjoint travaille pour l’agence de notation Moody’s, qui a dégradé la note souveraine de la France en décembre. Cela n’a pas fait l’objet d’un déport.

3. Ils siègent en dehors du Conseil des ministres

Les ministres ont occupé ou occupent toujours parfois des postes dans de prestigieux cénacles décisionnels ou culturels, la plupart du temps bénévoles. Leurs déclarations nous donnent un aperçu exhaustif.

Bruno Retailleau (Intérieur) demeure administrateur de la société qui organise la célèbre course à voile du Vendée Globe, et siège dans les instances qui gèrent l’abbaye royale de Fontevraud dans le Maine-et-Loire.

En rentrant au gouvernement, Eric Lombard a fait une croix sur la présidence du conseil d’administration du Théâtre des Champs-Elysées, une des plus belles salles de concert parisiennes. Ce mélomane (qui a aussi déclaré un piano à queue) a également dû passer le relais à la présidence du board de Bpifrance, certes autrement plus stratégique pour l’avenir du pays.

En tant que présidente de l’association Petites cités de caractère de France, Françoise Gatel (Ruralité) a pu donner des interviews dont Stéphane Bern aurait pu valider chaque mot : “La sauvegarde du patrimoine est un levier d’espérance et d’avenir pour nos petites cités”, expose la Bretonne sur Enviedeville.fr.

Députée du Doubs, Annie Genevard (Agriculture) a longtemps présidé la commission permanente du Conseil de la montagne. En devenant ministre de Michel Barnier en septembre, elle a laissé sa place dans cette instance toute indiquée pour faire grimper les sujets montagnards en haut de la pile. Bien décidée à garder un rond de serviette, la ministre a pu réintégrer par un arrêté ministériel le conseil en mai, en tant que… représentante de l’association nationale des élus de la montagne.

Après sa semaine au ministère des Armées, Sébastien Lecornu a parfois le plaisir de se rendre aux vernissages du Musée des impressionnismes de Giverny, dont il est président. Le lieu abrite chaque année Le Forum de Giverny, événement d’influence sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, dont le ministre a inauguré l’édition 2024.

4. Les étiquettes à rallonge des barons locaux

Comme de nombreux collègues, Sébastien Lecornu garde un ancrage local puissant. Lui est par exemple toujours vice-président du département de l’Eure, chargé des grands projets et des relations internationales, parmi une myriade d’autres participations dans divers organismes de son fief.

Office HLM, syndicat mixte de transports en commun, collège du coin, ou CHU… la liste des entités dans lesquelles les ministres-élus locaux siègent ou ont siégé est longue comme le bras, à l’image de : Catherine Vautrin (Travail, Santé, Solidarités, Familles) à Reims, François Rebsamen (Aménagement du territoire) à Dijon, Patricia Mirallès (Anciens combattants) à Montpellier, Yannick Neuder (Santé) en Isère, Laurent Marcangeli (Fonction publique) à Ajaccio ou Charlotte Parmentier-Lecocq (Personnes handicapées) et Valérie Létard (Logement) dans le Nord.

N’oublions pas François Bayrou et son fief pyrénéen. Outre son poste bénévole de Haut-commissaire au Plan, le Premier ministre a cumulé dans les années précédant sa promotion à Matignon jusqu’à 34 participations à des organes dirigeants d’un organisme public ou privé (aucune ne donnant lieu à rémunération). Dont : l’Institut Confucius à Pau, le syndicat mixte de l’aéroport Pau-Pyrénées, l’université du coin, le centre hospitalier ou les offices de logement…

A eux quatre, ils peuvent presque recréer un petit Conseil des ministres à l’hôtel de la région Ile-de-France : Laurent Saint-Martin, Amélie de Montchalin (Comptes publics), Jean-Noël Barrot et Aurore Bergé (Egalité femmes-hommes) y siègent comme conseillers régionaux depuis 2021, nous rappellent leurs déclarations.

5. Des ministres enseignants, écrivains ou penseurs

Preuve qu’un ministre n’a plus beaucoup de temps libre ? Après sa nomination au Budget, fin septembre, Laurent Saint-Martin (désormais au Commerce extérieur) a dû laisser en plan ses étudiants en master à Sciences Po, après un seul cours. L’intitulé de son enseignement (“La question budgétaire en temps de crise”) était d’ailleurs prophétique, puisque le gouvernement Barnier a chuté sur cette “question” précise, trois mois plus tard.

Benjamin Haddad produit sur son temps libre un peu de jus de crâne à la Fondation Tocqueville. Membre du conseil d’administration de ce think tank, le ministre délégué à l’Europe délivrera d’ailleurs une keynote lors du prochain événement de cette fondation, prévu fin juin. Autre think-tankeuse, Juliette Méadel est présidente-fondatrice de L’Avenir n’attend pas.

Manuel Valls a, pour sa part, été prolifique en librairie, publiant dans quatre maisons d’édition différentes (Grasset, Plon, et un ouvrage chez Tallandier traduit en espagnol chez Funambulista). Bien plus que son collègue Bruno Retailleau chez l’Observatoire, qui tente de se rattraper avec son tout frais Manifeste contre l’islamisme.

Rachida Dati (Culture) ne touche plus rien ou presque de ses éditeurs (Plon et Grasset) depuis plusieurs années. Gageons que son passage Rue de Valois saura l’inspirer comme, en son temps, Frédéric Mitterrand et sa Récréation.

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