Les préfets Shiva, ou la victoire obtenue de haute lutte par le ministère de l’Intérieur

Trois décrets publiés mercredi renforcent le rôle des préfets localement, pour les transformer en vigie décisive sur les services de l’Etat et ses opérateurs.

Aug 4, 2025 - 08:02

PARIS — Dans les cartons depuis des mois, trois décrets viennent enfin d’atterrir sur le bureau des préfets pour renforcer leur rôle localement. Les voici plus que jamais managers et chefs d’orchestre de l’action publique dans les régions et les départements.

Parmi les instruments ajoutés à la panoplie de ces hauts fonctionnaires nommés par le président sur proposition du ministre de l’Intérieur : une consultation sur les recrutements, les évaluations, les compléments de rémunération et les priorités des chefs de service territoriaux de l’Etat et des agences.

Ces quelques 130 hommes et femmes auront aussi voix préalable au chapitre sur les cartes scolaires, l’organisation des soins ou encore la répartition sur le terrain du réseau des finances publiques — ce qui a occasionné un bras de fer entre Bercy et la Place Beauvau ces dernières semaines.

Un temps envisagé, seules les nominations de recteurs d’académie, qui se font en Conseil des ministres, échapperont à ce droit de regard élargi.

Pour justifier ce changement de pilotage, l’exécutif avance le souhait de “rendre l’action de l’Etat plus cohérente et plus efficace”, alors que “l’action du préfet [a été] trop souvent gênée par la multiplication des canaux d’intervention de l’Etat”.

Vigie des opérateurs publics

Les préfets confortent également leur autorité sur les opérateurs de l’Etat, à qui des directives pourront être plus facilement transmises. Leurs dépenses et décisions les plus stratégiques doivent être soumises pour information ou avis — le préfet gagnant au passage la possibilité d’une demande de réexamen, qui suspend la mise en œuvre de la décision.

“Le décret généralise un modèle mis en place à l’Ademe”, aussi bien au niveau régional à la suite de la loi 3DS que départemental de leur propre initiative, se félicite un dirigeant de l’agence, qui vante une initiative “reconnue pour son efficacité et sa clarté”.

La même logique de fonctionnement s’appliquera aux appels à projets ouverts aux collectivités et aux entreprises, qui seront désormais territorialisés.

Des évolutions qui réjouissent la sénatrice Christine Lavarde (LR), qui continue de travailler sur une proposition de loi issue de sa commission d’enquête sur les opérateurs de l’Etat : “Nous avons travaillé en parallèle et arrivons aux mêmes conclusions, c’est rassurant”, indique-t-elle à POLITICO.

Inquiétudes… et élargissements à venir

Réunis mi-juillet, les syndicats membres du Conseil supérieur de la fonction publique de l’Etat avaient pourtant rendu deux avis unanimement défavorables. “Le gouvernement voulait passer outre, tout avait déjà été annoncé dans les médias deux jours plus tôt par le Premier ministre”, grogne l’un d’entre eux.

Les syndicats s’inquiètent déjà des conséquences sur le terrain. “C’est un renforcement exorbitant du pouvoir des préfets, qui risque d’engendrer des dérives et des conflits, ne serait-ce que sur les nominations et les marges de manœuvre au quotidien pour des fonctionnaires qui ne relèvent pourtant pas du ministère de l’Intérieur”, s’alarme Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques.

“Le décret n’a ni pour objet ni pour effet de déposséder les chefs de services déconcentrés de leurs prérogatives”, assure au contraire le cabinet de Bruno Retailleau à POLITICO. Il insiste sur la “coordination” et l’“attention toute particulière”, dans le prochain budget, sur les moyens de l’administration territoriale de l’Etat.

La syndicaliste de la CFDT se dit également préoccupée par la charge de travail supplémentaire, qui incombera aux agents dans les préfectures.

Le circuit de cette réforme de l’action territoriale ne s’arrête pas ici. Pour faire des préfets les “délégués territoriaux” de davantage d’opérateurs, une liste de nouveaux établissements est encore en cours d’arbitrage, indique encore le cabinet du ministre de l’Intérieur. Une évolution qui ne pourra pas se faire sans une nouvelle loi pour certains opérateurs.

Un des décrets étend enfin le pouvoir de dérogation des préfets aux normes, insuffisamment utilisé selon le gouvernement et les parlementaires. Celui-ci doit être encore musclé grâce à une proposition de loi, déjà adoptée par le Sénat et dans la navette pour l’Assemblée nationale. “Première quinzaine d’octobre en principe”, espère son auteur, Rémy Pointereau (LR), qui sait l’agenda parlementaire chargé pour la rentrée.

Alexandre Léchenet a contribué à cet article.

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