Macron-Retailleau : dernier appel

Oct 13, 2025 - 08:05

Début de soirée, ce vendredi, Place Beauvau. L’encore locataire du ministère de l’Intérieur Bruno Retailleau enchaîne les coups de fil depuis qu’il est rentré de l’Elysée. Il veut, dans un ultime effort, peser sur le cours des choses.

Quelques instants plus tôt, vers 17 heures, il traversait la cour du palais présidentiel au côté de son collègue et rival des Républicains, Laurent Wauquiez. Les deux hommes, qui sortaient de la réunion convoquée en urgence par Emmanuel Macron, n’ont pas eu un mot pour les journalistes présents. A peine un sourire crispé sur les lèvres du Vendéen.

Certes, le président n’a pas dit explicitement devant les chefs de parti réunis dans le Salon des Ambassadeurs, qu’il s’apprêtait à renommer Sébastien Lecornu à Matignon. Mais l’intention crevait les yeux, aucun autre nom de Premier ministre potentiel n’ayant été évoqué.

Le président des Républicains a pourtant multiplié les mises en garde, tant en public et qu’en privé. “Nous ne participerons pas  à un gouvernement dirigé par un macroniste ou un socialiste”, avait ainsi prévenu Retailleau, avant même la réunion, appelant Emmanuel Macron à “déprésidentialiser” la fonction. Dit autrement : à nommer une personnalité indépendante de lui.

Ce vendredi après-midi, face au président, le Vendéen a réitéré ses avertissements, tandis que Laurent Wauquiez, qui préside le groupe à l’Assemblée nationale, s’est contenté d’annoncer qu’il s’en remettrait au vote de ses ouailles. Car il le sait : les députés de leur famille politique ne sont, pour beaucoup, pas plus gênés que ça par l’éventualité d’une suspension de la réforme des retraites, n’en déplaise à Bruno Retailleau, qui condamne absolument ce renoncement présidentiel. Et puis, certains se verraient bien récupérer un petit maroquin dans la bataille, quand ils ne sont pas simplement “gouvernés par la peur d’une dissolution”, comme le déplore l’entourage du ministre.

Mais voilà que, vendredi soir Place Beauvau, le téléphone sonne. C’est le président. Lui qui avait fini par répondre, à la fin de la réunion élyséenne, à une Marine Tondelier insistante, qu’il nommerait son nouveau Premier ministre dans les “prochaines heures”, n’a manifestement pas dit son dernier mot. Il rappelle un à un les patrons des partis de feu le socle commun.

Emmanuel Macron dont on dit qu’il n’a toujours pas digéré la sortie estivale de Retailleau sur la fin du macronisme, dans Valeurs actuelles, veut convaincre le président des Républicains “que Lecornu est la bonne solution”, comme nous le rapportera un interlocuteur des deux hommes, et qu’il faut que LR participe au gouvernement.

“Parlez avec Sébastien”

La conversation dure quelques longues minutes. “Ce sera votre Traité de Lisbonne”, re-re-dit Bruno Retailleau au chef de l’Etat, en référence à ce qui reste dans beaucoup de mémoires comme le symbole ultime de la trahison démocratique. “Matignon ne peut être une annexe de l’Elysée”, dit-il encore, en substance, suggérant à nouveau les noms de Jean-Louis Borloo ou même de Xavier Bertrand, qu’il verrait franchement d’un moins mauvais oeil (la rumeur de la nomination de ce dernier prendra d’ailleurs un peu d’ampleur dans la soirée, Emmanuel Macron tardant à officialiser sa décision).

“Parlez avec Sébastien”, insiste le chef de l’Etat, avant de lancer une proposition pour le moins inhabituelle : “Si vous me donnez votre go, il vient vous voir à Beauvau, vous faites le gouvernement ensemble.”

A peine raccroché, le téléphone affiche le nom de Xavier Bertrand, justement. Le président de la région Hauts-de-France, qui plaide pourtant depuis des jours pour que LR sorte du gouvernement, veut bizarrement tâcher à son tour de convaincre Retailleau d’écouter le président, et de ne pas mettre les Républicains hors-jeu. “Parce qu’il n’avait pas de solution et qu’on allait s’enfoncer dans la crise”, expliquera-t-il a posteriori. Il ne rencontre pas plus de succès qu’Emmanuel Macron.

Nouvelle sonnerie. Cette fois, c’est Sébastien Lecornu qui se fend d’un coup de téléphone à l’homme qui l’a poussé à la démission, quelques jours plus tôt. Il s’enquiert des lignes rouges du président des Républicains s’il venait à débaucher des personnalités de son parti et lui propose de se rencontrer le lendemain. Retailleau ne veut surtout pas se rendre à Matignon, tel qu’il l’a fait discrètement le dimanche précédent pour réclamer au Premier ministre la composition du gouvernement. Il n’ira pas non plus dans un café, comme Lecornu le propose, et suggère plutôt à son ancien collègue des Républicains de venir le voir en accédant par une arrière-porte Place Beauvau.

Informé, un conseiller incrédule du ministre l’interroge : Lecornu ne va-t-il pas être nommé dans la soirée, quoiqu’il arrive ?

Pour Retailleau, qui, on l’a dit, exclut de participer à un gouvernement à la tête duquel le Premier ministre démissionnaire serait conduit, les jeux ne peuvent décemment pas être faits, puisqu’Emmanuel Macron s’escrime encore à le convaincre.

Un espoir entretenu jusqu’à la dernière minute que ne pourrait lui reprocher Thierry Solère. Ce proche d’Emmanuel Macron et premier conseiller de Sébastien Lecornu assure à qui veut l’entendre qu’il a tenté, lors du dimanche fatidique qui a provoqué la chute du gouvernement, de convaincre le président de renoncer à nommer Bruno Le Maire au ministère des Armées. “On ne change pas le gouvernement une heure avant qu’il soit annoncé sur le perron (de l’Elysée)”, lui aurait rétorqué Emmanuel Macron.

Réponse de Solère, selon ses dires : “Une heure avant Hiroshima, il n’y avait pas eu Hiroshima.”

L’espoir, dans le bureau de la Place Beauvau, est vite douché. Sur les coups de 22 heures, le communiqué tombe. Sébastien Lecornu est reconduit. Le tête-à-tête n’aura pas lieu. Voilà Bruno Retailleau encore pris, comme il le dit lui-même dans la colère froide qui l’assaille depuis huit jours, pour un “couillon”.

News Moderator - Tomas Kauer https://www.tomaskauer.com/