Un an après la dissolution, le Sénat roi dans son palais
Présents en nombre au gouvernement, les sénateurs LR font partie des grands gagnants du nouveau paysage politique.
PARIS — Longtemps sous-représentés au gouvernement (et au cœur du pouvoir), les sénateurs sont sans doute les principaux bénéficiaires de la dissolution, qui leur a permis d’opérer un retour au premier plan politique. “Tant qu’il y avait une majorité à l’Assemblée, ils s’efforçaient de nous bypasser et même de se passer de nous”, rappelle ainsi Hervé Marseille, le président du groupe Union centriste, satisfait de ce retour au centre du jeu.
Le cas de Bruno Retailleau est certainement l’exemple le plus flagrant. Alors que les gouvernements Borne et Attal n’avaient pas pioché parmi les bancs du Palais du Luxembourg — au grand dam de certains élus qui s’en plaignaient ouvertement —, Michel Barnier, le premier Premier ministre post-dissolution fait le choix inverse. Et décide de nommer Place Beauvau celui qui était jusqu’alors président du groupe Les Républicains de la Chambre haute.
Un choix gagnant et payant pour le Vendéen, qui a vu sa cote de popularité s’envoler et son poids politique grossir en conséquence, jusqu’à réussir à remporter haut la main la course à la présidence de son parti.
Dans son sillage, plusieurs autres sénateurs (principalement LR), font leur entrée au gouvernement et à des postes stratégiques. Marie-Claire Carrère-Gée devient ministre chargée “de la coordination gouvernementale”, sorte de bras droit de Michel Barnier (une fonction qui ne survivra d’ailleurs pas à ce gouvernement). Le président de la commission des Lois, François-Noël Buffet, est nommé à l’Outre-mer puis ministre délégué à l’Intérieur sous François Bayrou. Chargée du Commerce extérieur, Sophie Primas deviendra ensuite porte-parole du gouvernement Bayrou.
Nathalie Delattre est passée, elle, des Relations avec le Parlement (sous Barnier) au Tourisme (sous Bayrou), tandis que Françoise Gatel est chargée de la Ruralité. Agnès Canayer, Laurence Garnier, Philippe Tabarot ou Thani Mohamed Soilihi font aussi partie du quarteron de sénateurs et sénatrices entrant au gouvernement.
Une juste récompense pour les sénateurs de droite ? “Si vous considérez le nombre de députés LR (49 dont 7 apparentés, NDLR), évidemment qu’on est bien servis”, reconnaît l’élu Les Républicains Marc-Philippe Daubresse, l’un des piliers de la majorité sénatoriale. Avant de nuancer : “Mais si vous considérez qu’il y a deux chambres et besoin de représentants des élus locaux, nous sommes servis normalement.”
Chacun des interlocuteurs contactés par POLITICO insistent sur le fait que les sénateurs passés dans l’exécutif sont avant tout compétents et maîtrisent leurs sujets sur le bout des doigts. “Le Sénat travaille plus fort, et plus sur le fond que l’Assemblée, plus dans l’affichage politique”, insiste encore Daubresse.
Victoires sur le fond
C’est là l’autre point gagnant pour le Sénat : faire avancer ses dossiers. Depuis la dissolution, et en raison de l’absence de majorité claire à l’Assemblée nationale, les gouvernements sont en difficulté pour faire voter des projets de loi. Et privilégient plutôt les propositions de loi (PPL), d’initiative parlementaire, notamment celles nées sur la moquette rouge du Palais du Luxembourg.
Plusieurs textes majeurs ont ainsi été défendus par l’exécutif après avoir été portés et présentés au Sénat. Exemple le plus éloquent ? La PPL sur le narcotrafic, défendue conjointement par un sénateur LR et un sénateur PS, a ainsi été reprise à leur compte par le duo Retailleau-Darmanin et votée par les deux chambres.
Le gouvernement a aussi repris la PPL Duplomb sur le métier d’agriculteur, puis la PPL Grémillet sur l’énergie, votée au Sénat et en cours d’examen à l’Assemblée. “Le Sénat a une expertise juridique, une majorité très large, on voit les choses avec plus de sérénité”, sourit Hervé Marseille.
Et que dire de l’examen du budget 2025 ? “Après le rejet du budget Barnier, l’ossature de ce qui va être proposé est largement inspirée de propositions venant de sénateurs”, se vante Marc-Philippe Daubresse — oubliant un peu vite certains apports de l’Assemblée nationale, comme les 4000 postes d’enseignants supplémentaires ou le montant de la taxe sur les billets d’avion.
Nul doute qu’il en sera de même pour la loi de finances à venir. “Le budget qui sera fait sera celui du Sénat, cela fait partie des effets secondaires de la dissolution”, anticipe le macroniste François Patriat, une analyse partagée par Hervé Marseille qui considère que “le Sénat est devenu le moteur auxiliaire de la République”.
Autre conséquence directe : Gérard Larcher, le président de la Chambre haute, est pour certains devenu incontournable. C’est lui que le maire de Marseille Benoît Payan et Jean-Michel Aulas, candidat putatif aux municipales à Lyon, décident par exemple de consulter pour plaider la cause de la loi réformant les modes de scrutin à Paris, Lyon et Marseille, dite “loi PLM”, rappelle un proche du président du Sénat.
Ce texte fait toutefois office de contre-exemple au poids pris par la Haute assemblée.
Certes, les sénateurs l’ont massivement rejeté, mais une commission mixte paritaire a d’ores et déjà été programmée et, en cas d’échec, l’Assemblée aura le dernier mot. “Quand le gouvernement trouve une majorité à l’Assemblée, ça rééquilibre les choses entre les deux chambres”, reconnaît Hervé Marseille. De quoi faire dire à un fin connaisseur du Palais du Luxembourg que le Sénat n’a qu’un “effet tigre de papier”.
What's Your Reaction?






